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Clarissa Rivière
2 septembre 2023

La chambre des secrets

 

Comment-reconnaitre-un-immeuble-haussmannien

 

   Un début d'histoire BDSM...



   L’appartement leur avait plu tout de suite, avec ses moulures à l’ancienne et son beau parquet de chêne. L’agence immobilière avait aussi évoqué l’existence d’une chambre de bonne, dont elle n’avait pas les clefs pour l'instant. Au mieux, elle pouvait servir de cave ou de débarras, peut-être de chambre d’appoint une fois rénovée.
   — C’est un peu petit pour être loué, sauf à un étudiant, éventuellement.
   Une cave en hauteur, s’était amusée Eléonore, tandis que l’œil de son mari brillait d’intérêt.
   Antoine ne se répartissait pas de son sourire de gamin. Eléonore le considérait, surprise. Certes, ils réalisaient enfin leur rêve, s’installer tous les deux dans un bel appartement d’un immeuble haussmannien, mais il savait se tenir d’habitude. Qu’est-ce qu’il lui prenait d’afficher cet air béat devant l’agent immobilier un brin goguenard ! Elle tâcherait de lui tirer les vers du nez.

   Dès le lendemain, Antoine téléphona à l’agence depuis son travail. Il tenait à visiter la chambre sous les toits avant de s’engager. L’agent immobilier ne tarda pas à le rappeler, il avait récupéré les clefs. Il pouvait venir avec Madame dès le lendemain.
   Antoine se présenta seul, et crut bon de se justifier devant le haussement de sourcil de l’agent.
   — Je voudrais l’aménager et faire une surprise à ma chérie, lui offrir un lieu rien qu’à elle, vous voyez ?
    L’agent immobilier sourit, se demandant de quelle chérie il parlait. Il promit le secret et de lui remettre les clefs de la chambre en toute discrétion.

   Les travaux de réfection de leur nouvel appartement prirent un certain temps, retardant leur emménagement. Antoine se rendait souvent sur place pour les superviser, en apportant un soin particulier à la rénovation de la chambre de bonne.
   Il réussit à installer une douche, des toilettes, un coin cuisine, et un grand lit, avec des ruses et l’ingéniosité d’un vieux loup de mer aménageant son voilier. Des placards furent installés dans tous les recoins, ainsi qu’une armoire sur le palier. Ça ne poserait aucun souci, puisqu’il serait le seul à le fréquenter promit l’agence ; les autres chambres de bonne étaient à l’abandon.
   Antoine assura seul la suite des aménagements : des crochets au mur pour suspendre ses fouets, ses martinets, ses paddles… d’autres crochets aux quatre coins du lit pour y relier des cordes ou des chaînes, un anneau de suspension à l’une des poutres… Son donjon prenait forme ! Il prévoyait d’y installer une soumise à demeure, disponible à tout moment pour lui, l’attendant à genoux, quelques étages plus haut. C’était son fantasme depuis longtemps… Dans la réalité, il lui faudrait la laisser libre d’aller à la fac ou à son travail, de voir sa famille et ses amis… Il l’obligerait à porter un plug, une ceinture de chasteté, un collier… quelque chose qui la rattache à lui, qui lui interdise de l’oublier.

   Antoine trouva rapidement son bonheur, une soumise étudiante qu'il s'empressa d'enfermer dans la chambre de bonne. Tout s’organisait parfaitement dans le meilleur des mondes : une vie de couple vanille au 3e étage, une vie kinky sous les toits… mais une telle félicité ne pouvait durer éternellement, et c’était faire fi de l’intuition féminine qui n’a pas son pareil pour humer les changements dans l’air !
   Éléonore soupçonna vite quelque cachotterie et ne tarda pas à en deviner la cause, après avoir envoyé des coups de sondes dans toutes les directions. La chambre de bonne ! Antoine s’évertuait à lui faire oublier son existence, détournant la conversation dès qu’elle l’évoquait. Cela ne faisait qu’attiser sa curiosité. Quels secrets ce Barbe bleue moderne camouflait ?    Antoine finissait par s’emporter si elle insistait.  
   — Pourquoi tu ne peux pas te réjouir de ce que l’on a déjà ! On est bien ici, chez nous… pas besoin d’une pièce de plus !
   — Je pourrais inviter ma copine de Bordeaux par exemple, ou ma mère…
   — Raison de plus pour ignorer cette chambre qui n’existe pas…
   Ils riaient ensemble — ce qui valait toutes les réconciliations sur l’oreiller.

   Rien n’arrête une femme déterminée. Elle affecta de se désintéresser de la question, elle avait d’autres chats à fouetter. Mais dès qu'Antoine tournait les talons, elle retournait l'appartement pour dénicher les clefs, répugnant à rappeler l'agence. (Peine perdue, Antoine gardait précieusement sa clef autour de son cou, comme un talisman.)
   Elle se rappela soudain que l’agence avait suggéré une possible location à un étudiant. Peut-être était-ce déjà loué ? Elle allait le vérifier sur le champ ! Le cœur battant à tout rompre, elle grimpa les trois étages qui les séparaient et frappa à la porte.
   On ne tarda pas à lui ouvrir. Une jeune fille la considéra, bouche bée, avant de lui proposer d’entrer.
   — Vous êtes la femme d’Antoine, n’est-ce pas ?
   Eléonore ne parvenait pas à articuler le moindre mot, sonnée. Elle balaya la petite pièce du regard. Un donjon sadomasochiste. Elle n’était pas née de la dernière pluie, elle avait vu 50 nuances de Grey comme tout le monde ! Partout des fouets, des chaînes, des cravaches, des martinets… Elle connaissait donc si mal son mari ! Il lui faisait si peu confiance, pour ne pas partager avec elle toute une partie de sa vie ? Et il la prenait pour une idiote en plus…
   Son sang se glaça, son cœur s’emballa, et elle se sentit chuter. Elle réussit à se reprendre, ce n’était pas le moment de faiblir, mais de comprendre.
   — Pouvez-vous m’expliquer ce qui se passe ici ? Qui êtes-vous ?
   — Je m’appelle Eva, je vous offre une tasse de thé ?
   Elles prirent place autour de la petite table qui faisait aussi office de bureau, d’appui lors des fessées ou d’étreintes rapides, promue à présent table de salon de thé.
   — Votre mari ne vous a jamais rien dit ? risqua Eva.
   Eléonore avala une gorgée de thé brûlant et secoua la tête, à la fois contrariée et triste… Depuis combien de temps ce manège durait-il dans son dos ?
   — C’est tout récent, assura Eva. Votre époux m’a contactée via un site de rencontres spécialisé il y a quelques semaines seulement. Il disposait d’une studette libre, et cherchait une soumise à y loger, histoire de l’avoir sous la main…
   Eléonore frémit et Eva s’empressa de poursuivre.
   — Cela m’arrangeait, je ne trouvais pas de logement étudiant…
   — Le salaud, il va me le payer ! Au moment de l’achat, il fut vaguement question d’aménager une chambre pour un étudiant ou une étudiante, mais ensuite, on n’en a plus reparlé... Antoine faisait de tels mystères sur cette chambre, j’ai rapidement soupçonné anguille sous roche… il éludait mes questions, changeait de sujet…
   — Oh ne vous fâchez pas… ce n’est pas ce que vous croyez… nous faisons juste du BDSM, aucun sentiment n’entre en jeu. Il vous aime, vous, il me l’a dit d’emblée !
    Eléonore leva la main pour la faire taire. Elle ne voulait rien savoir, qu’elle lui épargne les détails scabreux de leur relation, et ses commentaires mal venus sur son couple… ou ce qu’il restait ! Elle consulta sa montre.
   — Nous avons quelques heures devant nous avant son retour…
   — Une heure, corrigea Eva.
   Eléonore vit rouge. Elle était vraiment naïve décidemment ! Toutes ces soi-disant réunions tardives…  Elle chassa les larmes qui menaçaient et puisa dans sa colère la force et l’envie de se venger. Elle s’enflamma littéralement et s’enthousiasma férocement ; elle allait le prendre à son propre jeu !
   — Pas de temps à perdre alors… je reviens dans quelques minutes, et ensuite, vous m’obéirez, si vous tenez à votre logement et à notre entente future.
  Eva opina et se mit tout de suite au diapason.
   — Avec plaisir, Madame.
   Elle était choquée qu’Antoine n’ait rien dit à sa femme. Les hommes, tous les mêmes ! Elle ferait ce qu’elle savait faire le mieux : se soumettre docilement, et cette fois, ce serait à Eléonore, n’en déplaise à Antoine ! Elle serait sans doute punie pour cela. Tant mieux.

   Eléonore se rua chez elle et s’improvisa une tenue avec une robe noire moulante et un masque rapporté de Venise, du temps de leurs amours romantiques. Un petit rappel de leur voyage de noces, pour appuyer là où ça fait mal. Pour les accessoires, elle n’aurait qu’à piocher parmi ceux de son prévoyant mari. Ça ajouterait du sel à l’affaire !

   Antoine réprima un cri de surprise quand il ouvrit la porte de la studette ce soir-là. Sa joie de jouer avec sa jolie soumise s’évanouit en un instant devant la silhouette peu amène de sa tendre épouse. C’était bien elle derrière ce masque énigmatique, aucun doute. Il le reconnaissait d’ailleurs… Venise ! Elle se tenait bien droite, une cravache dans une main, et tenait Eva en laisse de l’autre. Cette petite traitresse avait choisi son camp on dirait…
   Eléonore agita sa cravache.
   — Tu es switch j’espère !
   Sa voix était glaciale et Antoine se figea, penaud. Il s'était fait prendre la main dans le sac, il allait payer pour ça. C’était de bonne guerre ! Tout plutôt qu’une séparation…  Il était prêt à lui obéir en toutes choses. C’était peut-être le moyen d’obtenir son pardon, voire le droit de poursuivre ses jeux interdits, et de l’associer même, qui sait. Il en rêvait, mais jamais il n’aurait osé lui en parler, elle, la future mère de ses enfants. Cependant elle connaissait le mot "switch", se pourrait-il qu’elle en sache plus qu’il ne le supposait ? Depuis quand complotaient-elles toutes les deux ? Eva affichait un petit sourire impertinent ; il devrait la punir dès qu'il reprendrait la situation en main. Peut-être qu’Eléonore possédait le goût de la domination dans le sang, elle si romantique et douce d'ordinaire. Pas ce soir, de toute évidence. La cravache s’agitait de plus en plus en vite, dans l’attente de sa réponse.
   Un long frémissement le parcourut, et son sexe s’érigea, tandis qu’il s’offrait, vaincu.
   — Qu’il en soit fait selon ta volonté. Je mérite une punition et l’accepte.
   Eléonore bouillonnait d’impatience. Qui a dit que la vengeance était un plat qui se mangeait froid ? C’était bien meilleur chaud, brûlant même !
   — Eva, aide-moi !
   Elles attachèrent Antoine aux crochets fixés au mur formant une croix de St André invisible. Eléonore lui banda les yeux et posa un bâillon boule sur sa bouche.
   — Pour que tu n’ameutes pas tous les voisins en criant, car je n’ai pas l’intention de retenir mes gestes !
   Eléonore prit son élan et abattit un premier coup de cravache sur le fessier qui n’avait connu jusque-là que ses caresses. Le premier d’une longue série.



- Photo prise sur le net, retirée ou créditée sur simple demande


 

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