Relations paradoxales
Quelques réflexions et élucubrations à chaud sur les relations bdsm, suite à des échanges sur les réseaux sociaux.
– Pour simplifier, et coller aux images, j'évoque des relations entre une dominatrice et son soumis, mais bien sûr c'est valable aussi pour un maître et sa soumise.
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Je suis fascinée par le mystère des relations bdsm basées sur une inégalité consentie, voulue, recherchée, vécue avec joie des deux côtés, à l'heure où la réciprocité dans les relations amicales, amoureuses, est à juste titre devenue si importante.
On évoquait ces relations « déséquilibrées » sur Facebook, et un ami m’a fait remarquer qu’il valait mieux parler de relations asymétriques, car elles peuvent être très équilibrées au contraire, se révéler même plus stables dans la durée qu’une relation « classique », en répondant aux envies profondes, souvent inavouables, de deux personnes qui se sont parfaitement trouvées, se complètent, peuvent vivre pleinement leurs fantasmes, leurs perversions, sans jugement, et s’épanouir dans un mode de vie « différent » des injonctions de la société.
Vues de l’extérieur, ce sont des relations hors normes, incomprises souvent, en raison de cette absence de réciprocité :
- il se soumet, obéit ; elle domine et décide de tout,
- il donne, elle profite,
- il a du plaisir en lui faisant plaisir, elle a du plaisir tout court,
- il se charge de tout, elle se laisse traiter comme une reine et ne lève pas le petit doigt, sauf pour l'appeler à son service,
etc...
Une personne « vanille » peut se révéler choquée, ressentir un sentiment d’injustice en voyant un garçon aussi « maltraité », « exploité », abusé, tandis que madame profite et se prélasse, égoïstement, sans se soucier du sort de son "esclave"…. (En réalité, elle s’en soucie comme de la prunelle de ses yeux, car un soumis aux petits soins c’est rare et précieux ! Et c'est si bon de trouver son partenaire de jeux pleinement consentant, heureux de ses chaînes, de sa servitude, et dont les fantasmes complètent exactement les nôtres, dans une imbrication parfaite, comme deux pièces de puzzle !)
Je ne trouve pas du tout les relations bdsm inéquitables ou injustes, je les vois plutôt comme un revival de l’amour courtois : un chaste chevalier se jette aux pieds de sa dame, prêt à accomplir mille épreuves pour ses beaux yeux, tandis qu’elle le fait languir avec tendresse et une pointe de cruauté. Le chevalier servant pose un genou à terre, se met à son service, fort et viril aussi, il est prêt à partir en guerre, prouver sa bravoure, qu'il s'agisse de terrasser un dragon ou souffrir pour sa dame !
Soumission n’est pas synonyme de faiblesse, au contraire, il faut être fort pour endurer les épreuves physiques, mentales, infligées par des dominatrices débordant d’imagination… et pour vivre son rêve au grand jour, affronter le regard des autres, en ressentir de la fierté. Il faut être fort aussi pour traverser les tempêtes, subir les états d’âme, les caprices de sa dame. A force d’être toujours traitée comme une princesse, adulée comme une déesse, elle prend ses aises, y prend goût, alors gare au moindre écart, à la moindre faiblesse, la foudre n'est jamais loin de s'abattre !
Être soumis, ce n’est pas juste se laisser faire, s’abandonner, lâcher prise ; c’est un travail fou de tous les instants. Un soumis ne peut jamais être fatigué, bailler d’ennui, ou, en tout cas, il doit bien le cacher et se montrer toujours empressé, serviable, faciliter la vie de sa maîtresse de mille attentions, sans se montrer collant néanmoins, en respectant son espace de liberté, son envie d’air, ses incartades et ses humeurs, avec le sourire, toujours, même en étant délaissé ou mis au coin. C'est se montrer présent et enthousiaste sur le champ si elle le réclame, s’effacer discrètement si elle se consacre à d’autres, faire preuve de tact, de sensibilité, d'écoute, devancer ses désirs… Et oublier les reproches, les plaintes, et les ressentiments, mais communiquer, toujours, car une maîtresse veut un soumis épanoui et heureux de sa condition. Il ne s'agit pas de le faire fuir en courant ! A chaque instant, il reste libre de confier ses ressentis, de dire non, de partir. Les "fers", les chaînes sont symboliques, parfois réelles, mais toujours voulues.
Enfin, être un soumis, cela ne veut pas dire que l’on se montre soumis dans toutes les situations professionnelles ou familiales ! C'est uniquement en présence de la dame de ses pensées, lors d’intenses soirées, car bien sûr, une vie d'esclave est rarement envisageable à temps plein, même pour les couples bdsm vivant ensemble - sauf dans les romans, comme L'esclave, d'Eva Delambre. Les contingences de la vie quotidienne, les obligations variées, les conduisent à gérer leurs séances lors de moments privilégiés, organisés, des brèches vers un univers parallèle où ils peuvent laisser libre cours à leurs fantasmes et s'évader de la grisaille du quotidien.
En résumé, la vie est très belle pour les dominatrices ! En espérant que les soumis y trouvent aussi des sources de joie, dont les ressorts restent souvent mystérieux à mes yeux.
(Je trouve mon billet réducteur, car les soumis sont en réalité tous différents, avec leurs préférences, leurs fétichismes...
J'ai envie d'écrire sur chacun, je commencerai par mon chouchou, le fétichiste des pieds, qui d'ailleurs n'est pas forcément soumis, et j'enchaînerai avec d'autres... Là, il est surtout question du soumis romantique - je le connais bien celui-là - il aime avant tout faire plaisir et s'offrir.)
Roman photos : mise en scène et photos par Alain Massa