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Clarissa Rivière
12 février 2018

Pensées impures

 

Julien Dran ténor

    Fantasme fantaisiste, très vaguement inspiré de la réalité...

   ***

    Cela fait bien longtemps que je n'ai mis les pieds dans une église, mais cette fois, je n'ai pas le choix.
    Un événement familial important, toute la famille est requise, et le passage par l’église, incontournable ! Je me retrouve sur les bancs des condamnés, c'est sûr, je vais brûler en enfer pour l’éternité… Tous ces péchés pour lesquels je ne réussis pas à éprouver le moindre remords, toutes les tentations auxquelles je suis soumise, que je recherche même, afin d’y succomber, pour mon plus grand plaisir… Soupir... je suis ainsi, je ne lutte même pas ; le bonheur terrestre m’appelle, le plaisir passe avant la rédemption et la promesse du ciel, trop lointaine pour me motiver.

    Je souffre quand même de me sentir exclue, différente. Une brebis galeuse, une anomalie dans cette assemblée en prière, concentrée, cheminant vers la sainteté sans état d’âme.
    Et pourtant, c’est moi qui vais être choisie, parmi toutes ces fidèles inclinés respectueusement, pour vivre un moment de grâce imprévu et délicieux…

    C'est une messe pour fêter un événement joyeux, tout le monde chante de bon cœur sous la houlette d'un animateur enthousiaste. Bientôt, je remarque une voix juste derrière moi. Puissante, sans être trop forte, sonore, riche, subtile, chargée d'intentions, sûre d’elle, sans excès ni fioritures, simplement parfaite... Je ferme les yeux, je me concentre sur cette voix, effaçant toutes les autres, il n’y a plus qu’elle. Je ne chante plus pour mieux l'entendre et me laisser envahir par son timbre, avant de me remettre à chanter à l'unisson, m'efforçant de la suivre de mon mieux, de mêler ma voix en harmonie avec la sienne. Elle me guide, je la suis de près, m'appuie sur elle, je parviens à chanter des chants jamais entendus auparavant tant elle me porte. Nos voix se mélangent à merveille, comme un prélude à d'autres emmêlements.

    Cette messe rébarbative se pare soudain de mille couleurs. Je m’ennuyais, boudeuse de ne pas me sentir à ma place, et miracle, tout me parait plus étincelant. Je me redresse, exaltée, mon ange gardien se manifeste, il chante à mes oreilles ! Les promesses de bonheur clamées par le prêtre seront tenues, et c’est ici et maintenant !
    Il chante toujours, son chant se détache nettement des fredonnements et bêlements environnant. Sa voix me fait vibrer des pieds à la tête, résonne dans mon ventre, mon cœur, le fait battre plus vite. J'ai les idées en feu, je me laisse transporter par cette voix mâle, aussi à l'aise dans les envolées aiguës que les abîmes les plus profonds. Je rassemble toute ma volonté pour éviter de me retourner, regarder l'homme à la si belle voix. A quoi ressemble-t-il ? J'imagine un homme élégant, un rien dandy, habillé d’une mode surannée, un manteau long, une écharpe blanche, des lunettes, des cheveux dans les yeux… mais peut-être qu'il n'existe pas, je l'ai créé de toute pièce, mon fantasme a pris vie, c'est un cadeau de Dieu pour ramener sa brebis au bercail...

   vittorio grigolo Je me sens tomber, tour à tour touchée ou enivrée par cette voix de soliste, l'alléluia est une acmé, mon cœur se gonfle de joie, des larmes piquent mes yeux. Vite penser à autre chose ! Je ne vais pas réussir à tenir bon, je vais me retourner, le regarder dans les yeux, le dévisager, lui dire que j'aime l'entendre... Un peu de patience, je vais en avoir l'occasion bientôt. Grâce à "la paix du christ", nous allons tous nous donner la main à qui mieux mieux. D’habitude, je n’aime pas trop serrer toutes ces mains inconnues et douteuses, mais là, je m’en réjouis...
    Le temps s'étire, n'en finit plus, jusqu’à ce moment tant attendu. Je me force à saluer d'abord mes voisines avant de me retourner, en m'efforçant de prendre un air dégagé. Il est encore plus grand que je ne l'imaginais, je dois presque me dévisser le cou pour le regarder dans les yeux ! Il me scrute avec amusement, légèrement interrogatif, un regard intense, brillant d’intelligence. Je suis foudroyée, ma tête bourdonne, mes jambes se dérobent, vite m'assoir, avant de faire n’importe quoi. J’ai déjà retenu sa main dans la mienne une seconde de trop.

    Je ne vais pas communier, je reste assise, pétrifiée, je tâche de me remettre. De toute façon, je n'ai que des pensées impures, hors de question d'accueillir le corps du christ dans ma bouche quand je ne pense qu'à un homme de chair et de sang.
    Je m'arrangerai pour sortir en même temps que lui, engager la conversation mine de rien : "vous faites du chant, non ? J'aime beaucoup votre façon de chanter… j'ai fait partie d'une chorale il y a longtemps, j'adore les requiem, aller à l'opéra aussi...". Peut-être prendra-t-on un café ensemble pour poursuivre nos échanges...
    Sa voix dans mes oreilles me galvanise, un feu intense brûle entre mes jambes. Si je les frotte l'une contre l'autre, si je les serre un peu, je suis sûre de jouir sous l'effet de sa voix... une minuscule jouissance, mais je ne suis pas certaine de réussir à étouffer mes gémissements. Les cousins ne sont pas loin, la musique s’est tue, je dois patienter sagement.

    La cérémonie se termine sous les applaudissements, c'est fini, je me retourne vivement sous prétexte de mettre mon chapeau. La déception me broie le cœur, il a disparu, il est parti.

    Dimanche prochain je reviens, à la même place, et tous les dimanches de l'année s'il le faut, jusqu'à devenir folle, mystique, finir par m'enfermer dans un couvent pour toujours. 

 

   La suite ici

   Photos : chanteurs d'opéra

 

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Commentaires
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Clarissa, vous devriez lire "Paulina 1880" de Pierre Jean Jouve
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C
Moi, toujours j’avais su,<br /> <br /> Et dire non et dire adieu,<br /> <br /> Moi, jamais je n’avais voulu,<br /> <br /> Jamais prier homme ni Dieu,<br /> <br /> Maintenant j’ai plié le genou,<br /> <br /> Dans l’église, la tête baissée,<br /> <br /> Pour mendier ce que je veux :<br /> <br /> Respirer à côté d’elle.<br /> <br /> <br /> <br /> Nadau L’encantada
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